1. Genèse
Notre collectif s’est construit autour du désir de mettre le numérique au service des territoires, d’une volonté d’entreprendre diverses initiatives de valorisation des différents patrimoines régionaux, des patrimoines historiques, symboliques; l’intuition que la technologie numérique peut être mise au profit de la proximité et du lien social.
Constitué sous forme associative, nous avons pris le nom de «Carpe Locum». Ce nom est évidemment une translation de la belle et épicurienne expression «carpe diem». Ainsi espérons nous conduire nos réflexions et nos actions dans un esprit aussi truculent et optimiste que suggère l’injonction nous invitant à «cueillir le jour».
Cueillir le jour, profiter de l’instant présent….. Si l’on rajoute une dimension géographique à cette injonction temporelle, c’est avec la locution ‘hic et nunc’ que nous ouvrons nos toasts !
2. Prolégomènes
Après ces quelques années de fort développement, la technologie numérique semble avoir un rapport très problématique avec l’homme et le lien social. Nombreux sont ceux qui paraissent ne pas trouver leur place dans l’incroyable émergence technologique que nous traversons depuis 20 ans.
Le constat est même des plus impitoyable. Ainsi va-t-on de l’«homme nu» à l’homme sans contact pour Marc Dugain et Christophe Labbé. Dans «Homo numericus», Daniel Cohen nous décrit une société d’addiction dans laquelle le numérique dissout le rapport à autrui. Et une même accélération de la distanciation est soulignée dans le vertigineux roman «sociologique» «les Liens artificiels» de Nathen Devers qui fait dire à son narrateur :
«Nous ne sommes plus des hommes, mais des nombrils hurleurs. On raconte sa vie, on like et on dislike. On essaie vainement d’attirer l’attention. On s’écoule, comme les autres, dans ce stock incessant où toutes nos vanités s’entassent comme des ruines. »
Les promesses faites aux premières heures d’internet n’ont pas été tenues. On nous prédisait un gain démocratique par la libération de la parole et nous baignons dans une mare de ‘fake news’ et d’insultes. On nous promettait un proximité immédiate avec les savoirs et l’intelligence artificielle semble essentiellement vouloir nous profiler pour mieux nous proposer des produits à consommer. Un idéal de rapprochement des uns aux autres nous était présenté et l’on constate le développement de solitudes et la création de bulles cognitives.
Plus de 80 % de la population considère que le numérique a un impact négatif ou plutôt négatif sur sa qualité de vie et pourtant sa présence continue de croître de façon exponentielle – au point d’avoir créé des ogres gigantesques qui dominent désormais la vie économique, culturelle et sociale.
Le tableau donne le sentiment «qu’on y va» mais pas complètement de manière volontaire. Une industrie gargantuesque se développe mais on la subit, on l’accompagne passivement, sans en mesurer les enjeux.
La question aurait pu être de savoir comment la société s’y prépare…., ou ne s’y prépare pas.
A abandonner complètement la conduite aux sociétés capitalistes, il n’est pas surprenant que la technologie se développe essentiellement pour vendre. Pour celles-ci, il n’y a pas de sous-jacent plus fort que celui de vendre et vendre toujours plus, faisant de nous de plus en plus des consommateurs et de moins en moins des citoyens.
3. Optimisme et stratégie du braconnage
La noirceur du tableau rapidement brossé ci-avant peut conduire à l’abattement et à l’immobilisme. Elle peut susciter aussi une colère conduisant au refus et au rejet.
Quant à nous, elle nous invite à l’action ; non pas une action en opposition mais une action joyeuse, optimiste et adogmatique. Nous portons la conviction que le numérique peut être porteur de plus-value.
Il s’agit de braconner les usages et les opportunités au-delà ou deça des grandes routes. Il convient d’emprunter les petits sentiers et de réinventer des pratiques qui permettent d’apprendre, de comprendre, de découvrir, de se rencontrer. Il importe d’imaginer des dispositifs qui place le contenu et la relation humaine au centre de la réflexion et de créer des îlots de pertinence respectueux des usagers.
4. Quelques lignes de crêtes
A titre exemplatif, il est possible de dégager quelques lignes crêtes le long desquelles s’attarde notre réflexion.
I. Produits vs. contenus
Notre priorité sera toujours consacrée à la mise en valeur de contenus afin que le numérique retrouve pleinement son rôle pour contribuer à l’information, la découverte, l’apprentissage.
II. Usagers-consommateurs vs. usagers-acteurs
C’est le pendant du propos ci-dessus: éviter la facilité de vouloir s’adresser à de potentiels “clients” et ainsi, peut-être, découvrir de nouvelles modalités d’interaction, de collaboration et de participation.
III. Centre vs. périphérie
Est-il possible de construire une architecture et un modèle de gouvernance qui esquivent les tendances centripètes ? Fédérer un usage autour de principes tel que l’autonomie et la co-gestion.
IV. Espace virtuel vs. espace physique
En contrepied du paradigme actuel de vouloir virtualiser tout type d’interactions, nous cherchons à saisir toutes les opportunités pour réinvestir l’espace physique et de mettre la technologie digitale au service de manifestations concrètes et conviviales.